Les recours contre l’administration en cas d’expulsion tardive

Une procédure bien menée est une procédure conduite à terme. Il est donc parfois douloureux pour le bailleur qui a obtenu un titre exécutoire permettant l’expulsion de son locataire défaillant, d’apprendre que l’Administration refuse d’autoriser le concours de la force publique à l’Huissier de Justice en charge des opérations d’expulsion du locataire défaillant et, de fait, occupant sans droit ni titre. Ce refus paralyse la procédure d’expulsion.

 

Quels sont alors les recours du bailleur dans cette situation ?

LA LEGISLATION APPLICABLE
Pour réparer les conséquences dommageables que ce refus peut avoir pour le propriétaire d’un bien ainsi immobilisé, un droit à réparation a été prévu par le législateur. Ce droit trouve son origine dans l’article 16 de la loi n°91-650 du 9 juillet 1991 :

“L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation”.

Le bailleur ne pourra prétendre au bénéfice de ce recours que dans la mesure où il rapportera la preuve que le maintien de son ancien locataire dans les lieux n’est la résultante que du refus du concours de la force publique. Une fois ce préalable rappelé la responsabilité de l’Etat peut être recherchée. Deux fondements sont possibles, savoir :

Une responsabilité pour faute :

Il s’agit de démontrer pour le bailleur que le trouble qui est invoqué par l’Administration et qui était susceptible de porter atteinte à l’ordre public n’avait aucune gravité et qu’ainsi l’Administration disposait de moyens suffisants pour maintenir l’ordre.

Une responsabilité sans faute :

L’hypothèse est celle d’un refus pleinement justifié par la nécessité de maintenir l’ordre. Il convient alors de prouver que ce choix de l’Administration en faveur du maintien de l’ordre crée une rupture d’égalité devant les charges publiques. Cette expression recouvre l’idée de déséquilibre entre les citoyens face à la décision publique et ses conséquences. Ces dernières pèsent ainsi exclusivement sur la personne du bailleur.

L’ACTION CONTRE LA PERSONNE PUBLIQUE
Envisager une telle action, consiste à mettre en cause une partie indirecte aux opérations d’expertise ayant, de surcroît, une qualité particulière : la qualité publique. Comment caractériser cette entité abstraite et à qui doit alors s’adresser la demande d’indemnisation du bailleur ?

L’action doit être dirigée contre le Ministre de l’Intérieur ou contre le Préfet agissant es qualité de représentant dudit Ministre.

LE PREALABLE : LE RECOURS GRACIEUX
Le bailleur devra, avant de saisir la juridiction administrative, exercer un recours gracieux, dès le refus exprès de l’Administration où à l’expiration d’un délai de deux mois après le dépôt de la réquisition. La demande prend la forme d’une requête adressée au Ministre de l’intérieur ou au Préfet par lettre recommandée avec accusé de réception ou par sommation simple d’Huissier de Justice. A cette requête, sera joint l’ensemble des pièces en copie de la procédure, une première évaluation du préjudice et les justificatifs.

On indiquera qu’il est plus simple de confier la rédaction de cette requête gracieuse à un Avocat plutôt qu’à un huissier pour la seule raison que ce dernier doit justifier auprès de l’Administration d’un mandat exprès du ou des bailleurs. L’Avocat, au contraire, bénéficie d’une présomption de représentation.

Suite à cette requête, l’Administration dispose d’un délai de quatre mois pour prendre une décision qui peut être favorable ou défavorable au bailleur. L’Administration peut également choisir de ne pas répondre, elle sera alors considérée, à l’issue de ce délai, avoir implicitement rejeté la demande du bailleur.

LE RECOURS CONTENTIEUX
L’hypothèse est celle où le bailleur se voit opposé un refus implicite ou explicite.
Il dispose alors d’un délai de deux mois pour se pourvoir contre cette décision de refus. L’action doit être engagée devant le Tribunal Administratif dans le ressort duquel se trouve l’immeuble loué (CJA art. R 412-2 modifié par le décret n°2000-1115 du 22 novembre 2000, art. 4 JO du 1er janvier 2001).

Dans cette phase contentieuse, le recours à l’Avocat est obligatoire.
Il développera alors l’argumentation de son client sous forme d’un mémoire rappelant la procédure mise en œuvre, les diligences de l’Huissier de Justice aux fins d’obtention du concours de la force publique et le recours gracieux présenté contre la décision de refus. Le chiffrage du préjudice sollicité doit être détaillé : indemnités d’occupation, éventuelles réparations locatives et frais de procédure.

La décision du Tribunal Administratif sera notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception et sera susceptible d’appel devant la Cour administrative d’appel.

UNE REPONSE SPECIFIQUE AUX SITUATIONS URGENTES
Il existe, comme en droit privé, des procédures d’urgence lorsque, par son refus de prêter le concours de la force publique, l’Administration commet une atteinte grave et manifestement illégale aux droits du bailleur. Cette procédure d’urgence prend le nom du référé liberté (Loi n°2000-597 du 30 juin 2000). Le juge administratif ainsi saisi, doit alors se prononcer dans les 48 heures de la requête. Le contenu de la requête sera sensiblement le même que dans la phase procédurale classique à la différence que l’urgence, l’atteinte grave et l’illégalité manifeste devront être spécialement caractérisées. Le recours contre la décision qui sera prise par la juridiction administrative devra, cette fois, être porté directement devant le Conseil d’Etat qui se prononcera dans les mêmes délais.

A TITRE D’EXEMPLES
N’est pas constitutif d’une urgence :

la perte de revenus locatifs et l’incidence d’une occupation sans droit ni titre d’une partie de l’immeuble (CE réf. 30/10/2003, n°261353, Sté Kentucky)
la situation où la société propriétaire connaissait la situation de l’immeuble occupé par des squatters avant qu’elle n’en fasse l’acquisition pour mettre en œuvre un projet de rénovation immobilière (CE. 03/01/2003 n°253001, Sté Kerry AJDA 2003 p.342)