Impayés de loyers et l’imprévisibilité du nouvel article 1195 du Code Civil

par | Jan 18, 2018 | Bail habitation, Blog juridique, Loyers impayés | 0 commentaires

L’une des causes de l’insécurité juridique, détestable, est l’immixtion de plus en plus fréquente du Juge dans le contrat. Le contentieux locatif ne déroge pas à cette règle, les praticiens et les professionnels de l’immobilier le savent.

Mais depuis le 1er octobre 2016, (comme toujours, pour la “bonne cause”, c’est à dire celle du débiteur), un pas de plus a été franchi.

La réforme du droit des contrats ajoute en effet une corde supplémentaire à l’arsenal du juge (qui contrôle déjà les clauses abusives, les clauses illégales, qui interprète le contrat, accorde des délais) pour s’ingérer un peu plus encore dans le contrat conclu entre les parties, toujours au profit du plus faible (c’est-à-dire en pratique judiciaire, pour ce qui nous préoccupe aujourd’hui, le locataire).

Désormais, selon l’article 1195 du code civil, qui est applicable aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Pour l’instant (fin 2017),  ce  nouvel article 1195 du code civil n’a pas à ma connaissance encore donné lieu à des décisions publiées et commentées (n’hésitez pas à me contredire en commentant cet article)  quant à son interprétation ou son champ d’application au niveau de la Cour de Cassation, ou même au niveau des Cours d’Appel. Cela ne durera pas, les plaideurs avertis de tous poils brandiront prochainement à la barre des Tribunaux d’instance de France et de Navarre, le blason de l’article 1195 du code civil.

Seront-ils entendus ? 

Je n’ai pas de boule de cristal mais je sais qu’en terre inconnue, la prudence est de mise, car le professionnel du droit (et de l’immobilier) est juridiquement censé connaître la signification d’un texte de Loi dès son entrée en vigueur. Nul n’est en effet censé ignorer la Loi (à part les Tribunaux eux-mêmes qui voient parfois leur interprétation d’un texte contredite par une juridiction du degré supérieur)

Il faut donc envisager le pire, même si, heureusement, le pire n’est jamais certain.

Rentrons dès à présent dans le détail et étudions les risques que présentent l’article 1195 du code civil pour le bailleur, son application dans le temps, et comment tenter de se prémunir autant que possible des inconvénients de ce texte.

Les risques d’une pratique judiciaire favorisant le jeu de l’article 1195 du code civil 

Imaginons un locataire d’un appartement en région parisienne qui se trouve licencié en cours de bail en raison d’une inaptitude professionnelle consécutive à une maladie ou un accident professionnel ou non. Ce dernier, voyant ses revenus diminuer,  n’arrive pas à se reloger dans un appartement (il faut dire que pour trouver une location quand on est au chômage, c’est loin d’être évident)

Imaginons encore qu’un locataire fasse l’objet d’une mutation d’un époux en province alors que l’épouse doit rester travailler à Paris avec les enfants.

Voyant ses revenus diminués, rendant excessivement onéreuse son obligation au paiement du loyer de manière manifestement imprévisible, rien ne lui interdirait de solliciter, avec quelques espoirs, auprès du Juge, une diminution de son loyer sur le fondement de l’article 1195 du code civil.

Connaissant le (légitime) souci du Juge d’instance (juge de paix) de protéger le faible, combien parieriez-vous que le loyer ne serait pas baissé ?

D’autant que l’article 1244-1 du code civil, permettant d’obtenir jusqu’à trois ans de délais de paiement (étalement fractionnement de dette), pourrait tout à fait se combiner avec l’article 1195 du code civil.

L’article 1195 nouveau du Code civil permet au Juge d’apprécier souverainement l’opportunité d’une révision judiciaire : « peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe »

Enfin dans les procédures pour impayés de loyers, bientôt surgiront des demandes reconventionnelles des locataires pour demander la révision rétroactive du montant du loyer, avec des délais de paiement, comme cela est la pratique.

Pour celui qui n’a pas une confiance aveugle dans la Justice (il y en a si si…) rien ne limite les pouvoirs du juge pour apprécier les modalités de la révision, qui peut d’après le texte être rétroactive.

Bref, le Juge révisera le contrat comme il l’entend, selon des critères extérieurs au marché locatif (le texte ne renvoit aucunement à une quelconque forme d’évaluation des prestations), et cette révision prendra effet à la date qu’il fixera.

Ce nouveau pouvoir modérateur confère des pouvoirs exorbitants au juge judiciaire, avec le risque pour certains bailleurs, d’être de facto associés aux accidents et déboires de leurs locataires, à l’issue d’une désagréable période

D’ici à envisager qu’en deuxième rideau, le bailleur qui voit son loyer baissé de 15 %, reproche à son administrateur, après lui avoir résilié son mandat, une faute consistant à ne pas avoir conseillé et prévu une clause faisant échec à l’application de l’article 1195 du code civil, il ne faut guère d’imagination (mais un soupçon de paranoïa).

Là encore, la jurisprudence passera, mais convenons qu’il est préférable que ce genre de litige reste théorique.

D’où la nécessité de l’insertion d’une clause spécifique dans chaque contrat de location nouveau et renouvelé à ce sujet.

Mais, au fait, ce nouvel article 1195 du code civil, est-il applicable au contrat de bail d’habitation ?

La réponse n’est pas simple.

D’un côté, la faculté de résiliation du locataire permet de donner congé s’il ne se trouve plus en mesure de payer son loyer.

Le bon sens voudrait donc que, compte tenu de sa faculté de se dégager facilement des liens contractuels, le locataire ne puisse pas se prévaloir de « conséquences excessivement onéreuses ».

Mais, en sens inverse, on opposera que le texte, très général, ne distingue pas selon les types de contrats.

Le texte est analysé comme supplétif de la volonté des parties, de sorte qu’il s’applique, sauf clause contraire (Cf infra) automatiquement à tous les contrats conclus à partir d’octobre 2017.

Enfin, la jurisprudence devra se consolider sur cette question, fixer des critères inconnus à ce jour.

Bien malin qui pourra anticiper la position des Tribunaux, mais une chose est constante en la matière, le locataire a un statut de plus en plus protégé.

Il semble toutefois difficile, mais pas impossible, que les Tribunaux révisent un loyer à un montant inférieur à celui minimal fixé dans les zones où le loyer est encadré.

Est-ce que l’article 1195 du code civil s’applique aux contrats renouvelés à compter du 1er octobre 2016 ?

Application dans le temps :

Pour tous les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, cet article ne s’applique pas. La règle parait simple de prime abord.

Mais la question se pose du renouvellement.

En effet, il n’échappera à personne que les contrats de location sont renouvelés tous les trois ans ou tous les ans.

Qu’en est-il du contrat signé avant le 1er octobre 2016, mais renouvelé postérieurement, par exemple le 1er janvier 2017 ?

Doit-on considérer que le contrat renouvelé est un nouveau contrat, et appliquer l’article 1195 du code civil ou au contraire que c’est un contrat conclu antérieurement au 1er octobre 2016, et exclure l’application de l’imprévision ?

Selon l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 :

« Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.

Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.

Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance. »

L’alinéa 2 du nouvel article 1214 dispose que « Le renouvellement [d’un contrat à durée déterminée] donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont la durée est indéterminée ».

En principe le renouvellement d’un bail est donc a priori un nouveau contrat, et se voit donc appliquer la théorie de l’imprévision, à moins qu’une clause spécifique n’exclue le jeu de l’article 1195 du code civil.

D’où la question qui suit :.

Comment éviter l’application de l’article 1195 du code civil ?

Il faut tout simplement insérer une clause dans chaque contrat de location et chaque renouvellement de bail. En effet, le texte permet a priori, grâce à la précision « pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque » d’écarter la révision judiciaire du contrat. Mais il faut une clause spécifique pour cela.

La véritable inconnue est la suivante : que faire si le locataire refuse de signer un renouvellement avec renonciation au bénéfice de l’imprévision de l’article 1195 nouveau du code civil ?

Dans ce dernier cas de figure, il s’agira désormais du problème du mandant, et non de l’administrateur, le premier ne pouvant reprocher au second de ne pas avoir tenté de préserver ses intérêts.

 

N’hésitez pas à enrichir cette note de vos remarques et observations, par vos commentaires courtois et constructifs.

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